07. Avril 2025

La Maison de la Tourbière, dans le Jura neuchâtelois, permet aux visiteurs de découvrir le monde fascinant des marais. Niché dans le magnifique paysage du Jura neuchâtelois, le lieu offre un aperçu unique de l'histoire et de la préservation de ces précieux espaces naturels.

Auteurs: Dylan Tatti, Jacques Ayer
Histoire des tourbières des Ponts-de-Martel

Les sols des tourbières – ou hauts-marais - de l’arc jurassien sont principalement formées par l’accumulation progressive de matière organique morte provenant d’un genre de mousses que l’on appelle Sphaignes. La présence de ces écosystèmes particuliers débute aux Ponts-de-Martel il y a au moins 8000 ans au moment du dernier retrait glaciaire qui a laissé une couche argileuse imperméable au fond de la vallée permettant la formation de petits lacs plus ou moins permanents en empêchant les eaux de s’écouler en profondeur. Ces plans d’eau sont ensuite comblés progressivement par la végétation. Les sols qui en résultent évoluent . Un apport par des écoulements latéraux est aussi limité étant donné la morphologie bombée des tourbières et les dépressions karstiques entourant les tourbières des Ponts-de-Martel.
 

Comme la ressource en bois se faisait de plus en plus rare dans la vallée au 18e siècle, on a commencé à exploiter la tourbe pour le chauffage, et les habitants de la vallée ont trouvé dans la vente une nouvelle source de revenus. De pratique artisanale, cette activité s’est industrialisée au fil du temps. Dès la fin des années 1940, après la Seconde Guerre mondiale, les besoins en tourbe de chauffage diminuent drastiquement et un autre type d’exploitation prend le relai : l’extraction de la tourbe horticole.
 

En 1987, le peuple suisse accepte l’initiative fédérale nommée « Rothenturm » pour la protection des marais. Cela conduit à la mise sous protection des tourbières ainsi qu’à l’arrêt de tout type d’exploitation de celles-ci. Estimées à l’origine à 1500 hectares, les tourbières de la région des Ponts-de-Martel ne couvrent aujourd’hui plus qu’une surface d’environ 225 hectares. Cette surface restante abrite de nombreux organismes dont certains spécialisés et ne se trouvant presque exclusivement que dans les tourbières. Elles remplissent également de nombreuses prestations écosystémiques, c’est-à-dire des bénéfices directs ou indirects apportés à la société humaine.

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Affiche de votation du comité du oui « Pour la protection des marais », plus connue sous le nom d'initiative de Rothenthurm, datant de 1987.
Source: Schweizerisches Sozialarchiv

Les tourbières ne sont bien entendu pas exclusives à l’arc jurassien. Il est estimé que la surface totale des tourbières dans le monde couvre environ 3 % des terres émergées, ce qui correspond à 423 millions d’hectares. Très répandues dans l’hémisphère nord, plus particulièrement en Scandinavie, au Canada et en Russie, elles sont cependant aussi présentes dans la zone tropicale humide équatoriale, notamment au Congo où se trouve une des plus grandes tourbières au monde mesurant trois fois la superficie de la Suisse.

Idée et genèse de la Maison de la Tourbière aux Ponts-de-Martel

Les tourbières, notamment leur description, fonctionnement et revitalisation sont une thématique étudiée depuis plusieurs dizaines d’années par l’Université de Neuchâtel. Différentes recherches ont ainsi pu être développées, menées et valorisées dans les années 1970-80 entre autres par les professeurs Willy Matthey et Jean-Louis Richard. D’autres études ont été menés ensuite par les laboratoires des professeurs Jean-Michel Gobat et actuellement Edward Mitchell. Plusieurs bureaux d’études régionaux se sont également spécialisés sur ces écosystèmes particuliers. Un projet de musée consacré aux tourbières des Ponts-de-Martel est proposé en 1992. Cela débouchera sur la création d’une Fondation pour le musée de la tourbière en 1996. En 2014, l’Hôtel du Cerf fait faillite et le bâtiment est mis en vente. Une coopérative est constituée afin de pouvoir l’acheter et y créer la Maison de la Tourbière, un établissement scientifique, culturel et hôtelier dédié à l’étude, la conservation et la valorisation des tourbières.

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La Maison de la Tourbière a trouvé un lieu approprié dans l'ancien hôtel du village des Ponts-de-Martel. La transformation de la maison inoccupée a commencé en 2019 et est ouverte aux visiteurs depuis 2023.
Source: Maison de la Tourière

Centre d’interprétation

Le Centre d’interprétation est un espace muséal apportant une approche originale sur la biologie des tourbières et l’histoire de leur exploitation. Un espace de dialogue et de médiation offre des regards croisés sur les enjeux des liens homme-nature et en particulier des relations qu’entretiennent les habitants de la région avec leurs tourbières. Un espace documentaire permet également de se plonger dans les nombreuses archives réunies autour de l’histoire de l’exploitation de la tourbe aux Ponts-de-Martel. Parallèlement, un programme annuel d'ateliers pour enfants, de visites guidées, de conférences, de projections de films et d'autres activités d'éducation à l'environnement est mis en place. Les écoles bénéficient ainsi d'un accès aux ateliers d'éducation à l'environnement. La Maison de la Tourbière abrite également un restaurant, dont la cuisine propose essentiellement des produits locaux, ainsi qu'un hôtel pour les séjours prolongés dans cette région connue des amoureux de la nature.

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Le centre des visiteurs permet d'en apprendre beaucoup sur la formation, l'utilisation et la valeur de cet écosystème fragile.
Source: David Marchon

Centre de compétences

Le Centre de compétences marais de la Maison de la Tourbière a pour vocation d’approfondir la compréhension des milieux marécageux – en particulier des hauts-marais - et de valoriser et partager les connaissances liées à ces écosystèmes uniques. Différents axes y sont développés afin de soutenir et renforcer la mise en œuvre de la conservation des marais en Suisse. Il s'agit notamment de plateforme d’échanges et d’informations, formations continues, soutien à la recherche appliquée, diffusion des connaissances et centre de documentation.

Sentier de découverte de la tourbe

Le premier sentier didactique est mis en place en 1998 dans la zone au sud du village des Ponts-de-Martel. Il permet de découvrir les éléments naturels de cet écosystème, mais également les stigmates laissés par l’exploitation des tourbières. Une association appelée « Torby » s’est occupée de l’entretien, maintien et évolution du sentier pendant de nombreuses années. Le sentier a été rénové et rallongé en 2022 et est à présent géré par la Maison de la Tourbière. Long de 2.8 km, il est une prolongation naturelle des éléments présentés dans le Centre d’interprétation. Cette visite peut également être enrichie par l’accompagnement d’une guide.

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Le sentier réalisé avec des planches de bois permet de découvrir la diversité de la tourbière des Ponts-de-Martel et son histoire.
Source: Cyrill Burri

Régional

La Maison de la Tourbière est située à près de 1000 mètres d’altitude dans la vallée de la Sagne et des Ponts-de-Martel au cœur des paysages magnifiques et caractéristiques des Montagnes neuchâteloises.

La vallée est occupée par une des deux plus grandes tourbières de Suisse. Les forêts, les pâturages et les crêtes calcaires qui entourent ces biotopes protégés, combinés au charme des exploitations agricoles régionales offrent un cadre naturel unique. De nombreuses activités de plein air sont possibles ici et sont encouragées en harmonie avec la nature. En été, il s'agit par exemple du VTT et de la randonnée dans les forêts, tandis qu'en hiver, c'est le ski de fond qui attire dans les pâturages enneigés.
 

La vallée de La Sagne et des Ponts-de-Martel est également connue pour sa gastronomie locale, notamment les fromages artisanaux produits par la Fromagerie les Martel, et les délicieuses charcuteries et viandes de la boucherie Montandon. D’autres établissements offrent aussi la possibilité de déguster les spécialités culinaires de la région comme le Cochon Rose dans le village de la Sagne , le restaurant des Poneys avec ces fameux gâteaux au beurre, une spécialité neuchâteloise, ou encore le restaurant de la Petite-Joux dans un cadre enchanteur avec une magnifique vue sur le Creux du Van et les Alpes. Hormis son patrimoine naturel et ses spécialités culinaires, la vallée des Ponts-de-Martel offre une expérience culturelle notamment en lien avec les traditions locales et la Maison de la Tourbière. Chaque année, concerts, festivals, conférences et autres tables rondes, animent la vie de la région.

Encart – Exemple d’un travail de recherche appliquée

Léa Baume a réalisé un travail de master en collaboration avec l'Université de Neuchâtel et la Maison de la Tourbière. La conservation et la régénération des hauts-marais sont essentielles pour préserver la biodiversité qu’ils abritent, et pour leur capacité à stocker du carbone. Après l’arrêt de l’exploitation de la tourbe, ces écosystèmes fragiles se sont retrouvés avec un sol entaillé dénué de végétation et des conditions hydriques modifiées. Pour qu’un haut-marais redevienne actif et producteur de tourbe grâce à la présence des Sphaignes, des travaux de régénération et de gestion sont nécessaires afin que les conditions initiales soient rétablies. Ces travaux qui ont pour objectif de retenir l’eau et réhumidifier le sol passent aussi par la réimplantation de linaigrette engainante (Eriophorum vaginatum L.). Le port en touradons de cette cypéracée permet de créer un microclimat humide sous ses feuilles sénescentes, lequel est nécessaire pour la recolonisation des Sphaignes et autres plantes des marais.

Depuis les années 1992, des réimplantations d’E. vaginatum sont réalisées dans les hauts-marais proches de la Maison de la Tourbière. Toutefois, dans les zones réimplantées, le développement d’E. vaginatum est inégal. Ce travail de Master tentera par conséquent de comprendre quels sont les facteurs influençant ces variations en étudiant différents facteurs et paramètres liés au sol, à l’hydrologie ou encore aux différentes communautés végétales présentes.