28. Avril 2025

La formation des sols n'est pas seulement un sujet complexe sur le terrain, la a également lieu dans les salles de cours des hautes écoles. C'est pourquoi, lors de l'excursion annuelle 2024, les nœuds centraux de la recherche et de l'enseignement en pédologie ont été abordés lors de la visite de plusieurs établissements d'enseignement en Suisse romande.

L'excursion de deux jours a débuté à l'Agroscope de Changins, où, après avoir été accueillis, nous avons reçu un premier aperçu des projets de recherche actuels. Après les conférences, nous avons eu l'opportunité de visiter l'impressionnante collection de monolithes de sol – avec environ 80 spécimens, c’est l'une des plus grandes collections de ce type en Suisse.

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Les sols suisses ne sont pas les seuls à trouver leur place dans la collection. Divers types de sols sont également représentés au niveau international, dont certains issus des régions viticoles françaises.

L'après-midi, nous avons eu l'occasion de nous faire directement une idée des projets présentés le matin et de leurs essais sur le terrain. Ces derniers sont tous situés sur le site de l'Agroscope et de la Haute École spécialisée de Suisse occidentale à Changins.

Le projet « VigneSol », mené en collaboration entre la Haute École spécialisée de Suisse occidentale, le FiBL, la HEPIA et l'Agroscope, étudie l'impact de différentes méthodes de gestion dans la viticulture sur le sol et la vigne. Ces dernières années, la viticulture a connu une nette évolution dans ses méthodes d'exploitation. . Alors qu'auparavant, toute herbe concurrente était rigoureusement éliminée dans les vignobles, de plus en plus de vignerons renoncent aujourd'hui aux herbicides et à un travail intensif du sol. Les inter-rangs de vignes sont désormais en fleurs, ce qui profite non seulement à la biodiversité, mais aussi au sol : la couverture végétale réduit le risque d'érosion et diminue l'évaporation, ce qui s’avère particulièrement précieux dans un contexte croissant de pénurie d'eau.

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Le sol et la vigne sont considérés comme un tout dans la viticulture, ce n'est pas pour rien que le terroir donne à chaque vin son caractère propre. Cet aspect se reflète également dans le projet « VigneSol », où l'on étudie les interactions entre la culture, la vigne et le sol.

Les compactages des sols superficiels et sous-jacents lors de projets de construction sont malheureusement une réalité. Les conséquences négatives des sols compactés sont bien connues, mais il existe encore des lacunes dans nos connaissances concernant les échelles de temps et les possibilités de restauration de tes sols. Dans le cadre du projet « ROCSUB » (Restoration of Compacted SUBsoil), l'Agroscope étudie l'impact de différentes mesures pour restaurer les sols sous-jacents compactés. Ainsi, un dépôt de matériels d’excavation datant de cinq ans a entrainé un compactage du sous-sol jusqu'à une profondeur de 70 cm. Dans un dispositif expérimental réalisé sur 36 parcelles, l'efficacité du décompactage mécanique et de différentes végétations est testée. Outre les prairies permanentes et les  grandes cultures, des arbres de pâturage sont également utilisés. Le décompactage mécanique peut rapidement restaurer la fonction de drainage d'un sol, mais le bilan hydrique reste perturbé, ce qui se traduit par une capacité de rétention d'eau réduite. La combinaison de décompactage mécanique et de gestion ultérieure avec des arbres de pâturage semble être la solution la plus prometteuse.

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Différences impressionnantes dans la croissance des plants de maïs. Le maïs de la parcelle compactée présente une croissance nettement plus faible, tandis que les plants de maïs de la parcelle aérée située à droite ont connu une croissance nettement plus élevée.

Le projet de recherche « INTRANT » examine si l'utilisation de résidus de copeaux de bois peut créer des synergies entre la sylviculutre et l'agriculture. L'idée est de réutiliser les résidus de bois issus de la sylviculture afin d‘augmenter la teneur organique des sols. Les premiers résultats montrent toutefois que cette mesure ne permet pas de réduire l'utilisation des herbicides, ni d'augmenter les rendements. Bien que l'ajout de résidus de bois entraîne une augmentation à court terme de la teneur en matière organique des sols, il n’est pas encore possible de tirer ddes conclusions sur la fixation du carbone à long terme.

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Ophélie Sauzet explique la structure des parcelles expérimentales du projet INTRANT. Bien que les premiers résultats n'indiquent pas les effets escomptés, les chercheurs restent confiants quant à la possibilité de tirer des enseignements précieux de ce projet.

Parallèlement, nous avons eu l'occasion de tester  le nouveau « BodenDok » et le test à la bèche élargi. Le test à la bèche reste une méthode de terrain éprouvée pour évaluer les caractéristiques du sol sur le terrain. Grâce à la nouvelle application, les observations peuvent désormais être enregistrées de manière détaillée. L'utilisation de la spectrométrie infrarouge sur le terrain a également pu être testée.

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L'application BodenDok a été perfectionnée et offre désormais la possibilité d'adresser de manière encore plus précise des testes à la bêche élargis.

Après une journée intense sur le terrain, le programme s'est terminé par trois conférences sur la transmission des connaissances en pédologie. La première présentation a portée sur le concept du « flipped classroom », qui remplace les cours magistraux traditionnels par une méthode d'apprentissage plus active. Au lieu d'assimiler passivement le contenu d’un cours dans l'amphithéâtre, les étudiants se préparent grâce à de matériel vidéo, de sorte que le cours proprement dit puisse servir pour des discussions et des exercices approfondis. Cette méthode vise à améliorer la compréhension et à rendre le processus d'apprentissage plus interactif.
 

Un autre thème abordé a été celui d’une meilleure intégration de la pédologie dans l'enseignement scolaire. La plateforme numérique Bodennetz offre un soutien aux enseignants en fournissant une vue d’ensemble centralisée des méthodes pour les travaux pratiques sur le terrain ainsi que du matériel pédagogique appropriés. La plateforme est en constante évolution, elle est développée dans toutes les langues nationales et vise à rendre la pédologie plus accessible aux enseignants.
 

La troisième conférence s'est intéressée à la formation pratique en cartographie des sols, qui est jusqu’à présent principalement acquise via des cours en cours d'emploi ou via l'expérience pratique dans des bureaux de cartographie. En l'absence d'un concept de formation structuré, l'idée de créer des zones de formation a été présentée, dans lesquelles les futurs cartographes pourraient acquérir des compétences pratiques sous la supervison d'experts. Cela permettrait de répondre à la demande croissante de professionnels qualifiés et offrir aux jeunes une opportunité d'apprentissage pratique.
 

Le sujet a rencontré un grand succès auprès du public. Certains participants ont souligné qu'au sein des bureaux privés, l'expérience et la volonté de transmettre des connaissances par le biais de coaching étaient présentes. Cependant, les entreprises privées sont souvent confrontées au défi de transmettre efficacement des connaissances accumulées au fil des ans. La collaboration avec des experts dans des programmes de formation pourrait constituer un compromis précieux, les bureaux privés pouvant jouer le rôle de multiplicateurs. Les associations cantonales et régionales telle que le CercleSol ont également accueilli favorablement cette idée. Enfin, un participant a résumé de manière pertinente le problème sous-jacent : en Suisse, il manque actuellement une institution centrale consacrée à la transmission des connaissances pédologiques. Avant le dîner, aucune solution finale n'a pu être trouvée, mais cela a fourni un excellent sujet de conversation pour le repas du soir.

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L'après-midi, trois conférences avec la formation des professionnels ont eu lieu dans l'aula de l'Agroscope. La situation autour de la formation des nouveaux cartographes des sols a été particulièrement discutée, ce qui montre l'importance de cette problématique.

Le deuxième jour d'excursion a commencé à l'Arboretum d'Aubonne. En collaboration avec l’HEPIA, la réserve développe actuellement un sentier pédagogique qui sera accessible aux visiteurs et aux étudiants de l'école. Ces derniers fréquentent déjà régulièrement le parc pour approfondir leurs connaissances des espèces. Un profil situé depuis 2012 dans une zone boisée sous des épicéas et des châtaigniers est déjà ouvert au public et est régulièrement utilisé par les étudiants. Ophelie Sauzet (HEPIA) nous a montré son approche pour enseigner la classification des sols aux étudiants. Lors des premières cours, elle place les étudiants encore novices directement sur le profil et leur donne pour mission d'observer et d'explorer le sol. Sans être influencés par des clés de classification, les étudiants développent ainsi une véritable « sensibilité » au sol, au sens propre du terme.

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Le profil forestier permet aux étudiants d'acquérir l'une des compétences les plus fondamentales de la cartographie, à savoir l'observation des différentes propriétés du sol.

À l‘HEPIA, les étudiants apprennent non seulement la classification des sols sur un profil traditionnel, mais aussi l'analyse d'un profil dit « cultural ». Deux de ces profils ont été visités au poste suivant. Par rapport aux profils de sol classiques, ces profils sont beaucoup plus étendus horizontalement, offrant ainsi une coupe transversale d'un champ. Cette stratification latérale permet de voir plus clairement les effets du travail du sol, tels qu'un horizon labouré sous la couche de semis ou des ornières recouverts. Les étudiants n'apprennent pas seulement la classification classique des profils, mais peuvent également observer directement comment le travail du sol affecte la structure du sol et donner des recommandations aux agriculteurs concernant le travail du sol.

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Ophélie Sauzet présente l'un des profils de champ. La largeur permet de bien voir l'influence du travail du sol.

Peu avant le déjeuner, nous avons pris le bus pour nous rendre au campus de l'Université de Lausanne, où nous avons passé la dernière partie de l'excursion. Tobias Sprafke nous a d'abord présenté le projet SOILSCAPE. Il s'agit d'un projet Horizon Europe, qui repose sur une collaboration  interdisciplinaire entre artistes, professionnels de la culture et institutions publiques. Coordonné par la Société Française de Pédologie, ce projet vise à promouvoir la « soil literacy », c'est-à-dire la compétence en matière de sol, auprès du grand public et à offrir une plateforme pour la protection des sols. En Suisse, le projet SOILSCAPE est représenté par la Haute École des Sciences Agronomiques de Berne (HAFL), qui souhaite rendre les sols visibles pour le grand public grâce à un sentier pédagogique.

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Tobias Sprafke représente la Suisse dans le projet SOILSCAPE. En collaboration avec la HESA-HAFL, il s'est fixé pour objectif de créer un sentier pédologique de grande envergure.

L'université de Lausanne entretien un sentier pédagogique dans la forêt à côté du campus dans le cadre du projet SWISSOIL. Cela permet d’une part aux étudiants d'étudier les sols à proximité de leur lieu d'enseignement. D’autre part, le projet est activement entretenu et développé par les étudiants. Pas moins de sept profils ont déjà été enregistrés par plusieurs générations d'étudiants et publiés sur un site web. Ce site met en valeur divers aspects du travail pédologique, tels que les informations spécifiques au site, la biodiversité environnante et les cartes pédologiques de la région. Après la présentation du projet par Stéphanie Grand, nous sommes sortis une dernière fois sur le terrain pour observer les deux derniers profils.

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Répartis en groupes, les derniers profils de sol de l'excursion ont pu être visités sur le sentier didactique de l'Université de Lausanne.

Sur le premier site, nous avons trouvé un profil qui, à première vue, semble être un sol brun, mais qui devient rapidement un vrai casse-tête. Non seulement la classification du sol atteint ses limites ici, mais les explications sur la formation de ce type de sol sont également difficiles à fournir. À partir de 70 cm de profondeur, on rencontre des graviers fins, ce qui indiquerait normalement la roche mère. Mais la rupture dans la structure du profil provient d'un dépôt local datant de la dernière glaciation. Contrairement au sol qui la recouvre, cette couche contient une forte proportion de carbonates, ce qui en fait une « terra rossa » du point de vue de la classification des sols.

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La structure complexe des profils de sol a pu être bien comprise dans le cas de ce sol brun calcaire. Un sol brun se pose sur un dépôt de gravier glaciaire. Bien que la séquence d'horizons supérieure n'indique pas un sol brun calcaire, l'image globale de la bande de gravier conduit à cette classification.

La structure du deuxième profil n’est pas moins complexe. Dans la partie inférieure, des signes de saturation en eau sont visibles dans la structure compacte. En raison de la proximité immédiate d'un ruisseau, on peut supposer qu'il s'agit d'un fluvisol pseudogley. Cependant, au-dessus, on observe une couche bien délimitée, compactée et traversée de blocs et de cailloux. Le ruisseau a certes formé un sol, mais l'homme a également considérablement influencé la structure du sol. Lors de la construction de la route adjacente, des matériaux d’excavation et de déblai a été déposés, ce qui a entrainé le remblayage de la moitié supérieure du sol. 

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L'homme façonne également les sols, comme le montre bien ce profil. Sur un Fluvisol, des matériaux de démolition ont été entassés en raison de la construction d'une route. L'évaluation de l'influence de l'homme sur la classification reste souvent subjective, ce qui montre bien l'importance d'un échange entre cartographes et de leur expérience.

Les deux profils montrent bien que la structure des sols, dans la réalité, est souvent différente de celle qu'on apprend à l'université. Une bonne classification nécessite donc de l'expérience, acquise au fil du temps et après plusieurs observations. Il n'est donc pas surprenant que les futurs cartographes souhaitent être accompagnés par des personnes expérimentées pendant leur formation. Lors de cette excursion, nous avons pu constater que les universités offrent une solide formation et forment des personnes compétentes. Ces professionnels joueront un rôle clé dans la collecte de données de qualité et dans la préservation de nos sols. Pour répondre à ce besoin, il est essentiel de continuer à proposer une formation de haute qualité, comprenant à la fois des bases théoriques et une expérience pratique de la cartographie des sols.

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